Tout sur Robert (par Anne Crignon)
Après sept ans de harcèlement judiciaire à la suite de son enquête sur Clearstream, Denis Robert aimerait bien passer enfin à autre chose... Pas facile
Dernier roman sur les affaires avant liquidation ? Le nouveau livre de Denis Robert, ancien de «Libération» embarqué depuis dix ans dans une croisade en solitaire contre les paradis fiscaux, l'argent sale, l'impunité, semble avoir été écrit pour cet aveu, page 258 : «Je suis pressé d'en finir. Cette affaire est devenue trop personnelle.» L'affaire, c'est Clearstream. Sept ans en effet que sa vie ressemble à un film d'espionnage : ce serait «Denis Robert seul contre le capitalisme clandestin». Car la solide enquête sur la multinationale du Luxembourg, discrète gare de triage ouverte aux puissances et aux banquiers du monde entier, n'aura pas provoqué le scandale attendu mais aura valu à son auteur un maximum d'emmerdements. «Je traîne un orage au-dessus de la tête», écrit-il.
En sept ans, trois cents huissiers ont sonné chez lui, à Chatel-Saint-Germain Ses procès, il les gagne un à un dix-huit sont toujours en cours. Mais après deux livres de 500 pages sur Clearstream, «Révélation$» et «la Boîte noire» (1), l'intéressé n'aura été condamné qu'à quelques euros symboliques. Pour une erreur au détour d'une page, une formulation imprudente mais rien qui ne vienne remettre en cause le fond de ses allégations. Un harcèlement judicaire presque flatteur au regard de ce proverbe : il y a les journalistes qu'on achète et les journalistes qu'on attaque.
Entre deux échappées belles dans un passé lointain, comme ces pages ardentes sur un grand-père regretté, Denis Robert revient sur «l'Affaire», encore et encore : «Quand mon premier livre est sorti, j'avais l'impression de divulguer la cachette d'un magot, écrit-il. J'étais Robert Charles Surcouf» Quelque chose ne passe pas, qui a viré parfois à l'obsession. Les mensonges à son sujet, le dénigrement de la presse financière, les attaques des confrères... «Embryon de scandale jeté aux quatre vents», a écrit «le Monde» avec beaucoup de talent dans la mauvaise foi. Avoir quitté «Libé» et se prendre pour Erin Brockovich au fond de la Moselle tout en faisant un carton avec un roman érotique écoulé à 200 000 exemplaires (1) lui aura sans doute été fatal.
Aujourd'hui, passer à autre chose devient urgent. Ne plus raconter, justifier, expliquer, répéter. Mais c'est impossible. «C'est mécanique, explique-t-il. Je suis tellement attaqué que je ne peux pas renoncer. Je dois me défendre. Le but c'est me faire taire, m'épuiser, faire peur aux autres.» Le 1er avril encore, Surcouf était au tribunal. A Bordeaux cette fois, pour un procès en diffamation à la suite de propos tenus dans «Sud Ouest». Clearstream encore. Un message d'intimidation on ne peut plus clair à la gente journalistique.
Derrière ce flamboyant slogan, «Il m'aide à comprendre, je l'aide à se défendre», un Comité de soutien à Denis Robert s'est constitué. «On a eu envie de lui donner un coup de main, explique le dessinateur Rémi Malingrëy. Ses frais d'avocats sont très lourds. On veut aider quelqu'un qui n'a fait que son travail.» Au comité, on voit passer Guy Bedos, les frères Jolivet, pas mal d'étudiants en journalisme, Mossec. Une Cuvée Denis Robert est en vente sur le site (1). Un projet de papier peint est à l'étude, avec pour motif les cartes de presse envoyées par 600 journalistes solidaires le plus souvent de la presse quotidienne régionale. Le film de sa vie publique commence en 1983 à bord d'une vieille Renault 11 blanche. Il est correspondant de «Libé» à Metz et décrit les pêchés mignons des élus locaux, cette manie qu'ils ont de construire des ronds-points en rase campagne. Au journal, on l'appelle «Monsieur Fausses Factures». C'est un idéaliste. La ligne, c'est Jack London : le journaliste est une petite sentinelle de la démocratie qui surveille les puissants («l'Affaire Longuet», ce sera lui : énorme scandale) et donne la parole à ceux qui ne l'ont jamais, ce qu'il fera dans le très sensible «Portrait de groupe avant démolition» écrit avec René Taesch, un sansabri de Metz. Dix ans plus tard, un Denis Robert découragé recycle sa déception dans des romans subversifs et bien tournés.
L'hiver dernier, il a découvert qu'une galerie parisienne s'appelle «La Bank». Trop beau. On allait faire entrer un peu d'humour dans cette histoire. Il fait alors imprimer des listings (les fameux) sur de grandes toiles, intitule la série «Recel de vol» et les met en vente. Tout acheteur sera juridiquement son complice de recel. Et que faisait-il en pleine affaire Clearstream 2 quand on le soupçonnait d'être le corbeau ? Il était sur scène à la Criée de Marseille. Ce spectacle, «Thierry Baë a disparu», il le reprend ces jours-ci en Moselle. Quelquefois, un spectateur vient le voir : «Excusez-moi, vous êtes bien le Denis Robert ?» Pas facile de lâcher l'affaire.
«Une affaire personnelle», par Denis Robert, Flammarion, 348p., 19,90 euros.
(1)Editions des Arènes.
Anne Crignon
Le Nouvel Observateur
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2269/articles/a373960.html